Patrice-Edouard Ngaïssona, ancien chef du football centrafricain, coupable de 28 chefs d’accusation de crimes de guerre et crimes contre l’humanité Par Ndayikeze Apollinaire et Boris Bokassa | Vendredi 25 juillet 2025
"Il ne peut y avoir de paix sans justice, ni de justice sans loi, ni de loi crédible sans un tribunal pour déterminer la culpabilité et l'innocence." — Benjamin Ferencz, Procureur au procès de Nuremberg
Ce principe fondamental, pilier de tout État de droit, résonne avec une force particulière lorsque la justice internationale vient briser le mur du silence et de l’impunité. Le verdict rendu par la Cour Pénale Internationale (CPI) dans l’affaire contre Patrice-Edouard Ngaïssona, ancien chef de la fédération de football de la République Centrafricaine (RCA), et Alfred Yekatom, ex-commandant de milice, est une illustration poignante de cette maxime. Reconnus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, leur condamnation marque un tournant pour les milliers de victimes d'un conflit qui a déchiré la RCA. Au-delà des peines de prison, ce jugement tisse ensemble les fils complexes de la justice, de la vérité et de la mémoire, rappelant à tous la responsabilité qui incombe aux détenteurs de pouvoir et l'impératif de construire une paix durable sur des bases saines, loin de l'ombre de l'impunité.
Le parcours de Patrice-Edouard Ngaïssona est emblématique de la manière dont des figures publiques peuvent abuser de leur influence pour semer la terreur. Loin des terrains de football où il officiait en tant que dirigeant, il a été reconnu comme un "coordinateur politique national" des milices anti-Balaka. Ces groupes, majoritairement composés de combattants chrétiens, se sont formés en réaction à la prise de pouvoir en 2013 par les rebelles de la Séléka, à majorité musulmane, qui avaient renversé le président François Bozizé. Le procès, qui s'est étendu sur près de quatre ans et a mobilisé plus de 170 témoins et 20 000 pièces à conviction, a mis en lumière son rôle central dans le financement et la direction stratégique des violences.
À ses côtés, Alfred Yekatom, surnommé "Rambo", incarnait la brutalité sur le terrain. En tant que chef militaire, il a directement mené des attaques d'une violence inouïe contre la population musulmane. L'assaut du 5 décembre 2013 à Bangui, au cours duquel un millier de personnes furent tuées et la moitié de la capitale forcée de fuir, reste l'un des épisodes les plus sombres de ce conflit. Les témoignages ont fait état d'actes barbares : des victimes torturées, enterrées vivantes, et ciblées uniquement en raison de leur appartenance religieuse. Ces actes ne sont pas de simples "dégâts collatéraux" d'une guerre civile ; ils constituent des crimes contre l'humanité, car ils visent à détruire la dignité et l'existence même d'un groupe de personnes.
Ce procès met en exergue le concept de responsabilité. Il démontre qu'une position de pouvoir, qu'elle soit politique, militaire ou même civile comme celle de Ngaïssona, n'offre aucune protection contre la justice. Au contraire, elle aggrave la faute morale et pénale. Les procureurs ont prouvé que Ngaïssona n'a pas seulement fermé les yeux ; il a activement orchestré la violence. Ce verdict rappelle à toutes les figures publiques leur devoir moral et politique de protéger les civils et de promouvoir la coexistence, et non d'attiser les flammes de la haine. La recherche de la vérité a été le moteur de cette procédure judiciaire. Chaque témoignage, chaque document examiné a permis de reconstituer une parcelle de l'histoire, d'établir les faits et de rendre leur nom et leur histoire aux victimes, qui n'étaient plus de simples statistiques mais des individus dont la vie a été brisée.
La justice internationale face à l'impunité : mémoire et quête de paix
La condamnation de Ngaïssona et Yekatom est une victoire significative contre l'impunité, ce poison qui ronge les sociétés post-conflit en suggérant que les crimes les plus graves peuvent rester sans conséquence. Pendant des décennies, des dictateurs, des chefs de guerre et des politiciens ont commis des atrocités en toute quiétude, protégés par leur statut ou par le chaos qu'ils avaient eux-mêmes créé. La création de tribunaux internationaux, à l'instar de la Cour Pénale Internationale, a été une réponse directe à ce fléau.
Ce cas s'inscrit dans une lignée d'efforts similaires visant à rendre justice au nom de la communauté internationale. On pense notamment au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), qui a jugé des figures comme Slobodan Milošević ou Ratko Mladić pour leur rôle dans les guerres des Balkans, y compris le génocide de Srebrenica. De même, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a été pionnier en poursuivant les architectes du génocide des Tutsis en 1994, établissant des jurisprudences cruciales, notamment sur la reconnaissance du viol comme arme de génocide. Plus récemment, la condamnation de l'ancien président libérien Charles Taylor par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone a réaffirmé que même un chef d'État ne peut se soustraire à la justice pour son soutien à des crimes de guerre.
Chacun de ces procès remplit une fonction essentielle de mémoire. En documentant méticuleusement les faits, en archivant les preuves et en enregistrant les récits des survivants, la justice crée un rempart contre le négationnisme et l'oubli. Elle honore les victimes en reconnaissant officiellement leurs souffrances et en désignant les responsables. Cet exercice de vérité historique est indispensable pour que les générations futures comprennent les mécanismes de la haine et apprennent à ne pas "répéter l'irréparable".
Enfin, si la justice peut sembler un facteur de tension à court terme, elle est un prérequis indispensable à une paix authentique et durable. Une paix construite sur l'amnésie et le silence est une paix fragile, susceptible de s'effondrer à la moindre secousse. La véritable réconciliation ne peut émerger que du dialogue, du respect mutuel et de la reconnaissance des torts commis. En jugeant les principaux responsables des violences en RCA, la CPI envoie un message clair : la reconstruction du pays doit se fonder sur le droit et le respect de la dignité humaine. Alors que la RCA connaît des avancées fragiles, avec la dissolution récente de deux grands groupes rebelles, ce verdict peut servir de catalyseur. Il peut décourager de futurs criminels et rassurer les populations sur le fait que l'ère de l'impunité totale touche peut-être à sa fin. Le chemin vers la stabilité sera long et ardu, mais chaque jugement de ce type est une pierre ajoutée à l'édifice d'un monde où la justice n'est pas un idéal lointain, mais une réalité tangible pour tous.
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Je crois que ce verdict de la Cour Pénale Internationale est un signal fort : nul n’est au-dessus de la loi, même ceux qui se cachent derrière des discours patriotiques ou des fonctions prestigieuses. En lisant cet article, je ressens une urgence morale : les dirigeants qui gouvernent par la peur, la répression ou la brutalité doivent comprendre que l’impunité n’est pas éternelle. Je pense à ceux qui, comme Paul Kagame ou d’autres chefs d’État autoritaires, utilisent leur pouvoir pour écraser les voix dissidentes, manipuler la mémoire collective ou justifier des interventions militaires sous des prétextes ethniques ou sécuritaires. Je ne dis pas cela par haine, mais par conviction : diriger, c’est protéger, pas dominer. Je crois que l’Afrique mérite des leaders qui écoutent, qui réparent, qui unissent. Et je suis convaincu que la justice, même lente, finit toujours par rattraper ceux qui ont semé la terreur. Ce procès me rappelle que la vérité est une arme pacifique, et que chaque témoignage, chaque preuve, chaque victime reconnue est une victoire contre le silence.
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